A notre arrivée ils nous accueillaient ailerons grands ouverts sur la banquise. Les manchots empereurs accompagnés de quelques Adélies attendaient en un petit groupe au bord de l’eau. Ils étaient là à attendre le moment pour partir en mer. Et ça, ça peut durer des heures ! Les Adélies se réunissent eux aussi en groupe et généralement ils se déplacent au bord de l’eau de gauche à droite de façon pas très ordonnée. Il en suffit qu’un se décide à aller dans une direction pour que le reste suive sans réfléchir. Même si le premier a décidé bêtement de monter une congère glacée avec une bordure de plusieurs mètres au-dessus de l’eau… ça donne des situations plutôt drôles, parce qu’en plus de ça il y en a forcément qui se chamaillent dans le groupe. Ça peut durer longtemps, très longtemps. Soudain quand un décide de partir tout le reste suit. Les empereurs eux sont beaucoup plus calmes, ils arrivent sereinement au bord de l’eau. Ils partent eux aussi quand l’envie leurs prend mais généralement le groupe ne bouge pas beaucoup. Quand on les voit sur la banquise marcher, on a l’impression que l’évolution à raté quelque chose. Ces petites pattes qui ne leur facilitent pas les déplacements, les rend maladroits. Ils avancent lentement, dans un petit mouvement de bascule. De gauche à droite, et d’avant en arrière. Le tout un peu courbé, comme s’ils portaient le poids du monde sur le dos. Le moindre obstacle devient compliqué à franchir, mais nos solides oiseaux se débrouillent la plupart du temps très bien. Mais ne vous fiez pas à son apparence, puisque c’est le seul animal à passer l’hiver complet en Antarctique. Et surtout à se reproduire pendant l’hiver ! Même pas peur des -20°C avec un vent à faire rouler les phoques (de Weddell bien sûr). A notre arrivée les poussins étaient déjà bien grands ! Sortis de l’œuf fin de juillet, ils ont pris des forces et du poids. Bientôt c’est le départ pour les poussins, le grand départ ! Mais pourquoi sont-ils ici sur la banquise près du continent, souvent loin des accès à l’eau libre alors qu’ils pourraient être tranquillement au bord de l’eau en train de siroter un petit cocktail avec des tapas au krill antarctique ?
Et bien ce n’est pas si simple. L’œuf est couvé sur les pattes, avec ça, difficile de se déplacer pendant les deux premiers mois. Le souci c’est que la banquise peut vite bouger et se disloquer (on appelle ça une débâcle). Si les manchots sont sur une zone qui débâcle c’est l’échec assuré. Couver un œuf ou un poussin sans protection dans une eau à -1.6°C c’est pas gagné… Alors, comme entre les îles derrière la base la banquise débâcle rarement ou très tardivement c’est un gage de sécurité. En contrepartie il faut faire les trajets aller/retour pour aller chercher à manger. Ils sont capable de faire jusqu'à 60 km de marche aller/retour en plus du trajet en mer pour aller se nourrir et ramener à manger au poussin. Et si c’est trop loin ça ne marche pas… tiraillé par la faim dans l’attente de l’autre parent celui sur l’œuf (ou le poussin) abandonne son enfant unique pour aller se remplir la panse. Mais bon, ça c’est quand c’est vraiment très loin puisque sont capable de ne pas manger pendant plus de 2 mois.
Cette année une polynie s’est formée très précocement proche de la colonie. Cette distance faible avec l’eau libre a permis aux parents d’aller pêcher facilement sans aller trop loin. C’est une très bonne année pour les poussins d’empereurs ici. Plus de 1000 poussins de plus que l’année dernière (~3500 au total). En plus de ça, la mortalité est faible avec des poussins pour la plupart bien gras (les plus gros depuis 10 ans). Les poussins que nous marquons cette année seront de retour d’ici 3 à 5 ans après avoir fini leur crise d’adolescence.
En termes de banquise cette année est une année particulière. Ça fait 12 ans que le bateau n’est pas arrivé à quai dès la première rotation (R0 dans le jargon TAAFien). A notre arrivée la banquise reliait encore la base de Prud’homme qui sert à acheminer le raid pour la station Concordia. De quoi y aller en véhicule sans soucis. 3 jours après un morceau partait et coupait la route qui ne permettait plus l’accès en véhicule ni à pieds (merci l’hélico!). La semaine suivante, tout le reste de cette partie de banquise disparaissait. Le paysage change de jour en jour, les icebergs se déplacent et la mer prend de plus en plus de place. Ces conditions sont parfaites pour le départ des empereurs. Les parents arrêtent petit à petit de les nourrir. La faim fini par les hanter et des groupes se rapprochent petit à petit du bord. 25 novembre : le premier poussin part à l’eau. Prémisse d’une longue période de départ des 3500 poussins. Nous sommes actuellement dans le pic des départs et ce pour les prochaines semaines à venir.
Ils sont vraiment très drôles. Ils flottent et battent des ailerons n’importe comment. Dès qu’ils essaient de plonger ils remontent comme des bouées. Ils auront besoin de quelques cours de natation supplémentaires avant de maîtriser la nage correctement. L’occasion de se faire une petite beauté en prenant en muscle et en perdant en graisse pour être un peu plus dense et arrêter de flotter comme une bouée. On leur souhaite bonne chance, en espérant que mes successeurs croiseront leur chemin.
Et pour finir, une sélection de quelques photos :
Bonsoir, encore un post très intéressant avec des photos vraiment top. Je vous ai envoyé 2 colis, l'un "livré" le 2/1 (colissimo 8U 0144 224559 2), l'autre "à disposition en boîte postale" le 3/1 (8U 0144 224560 8). J'espère qu'ils vous parviendront bien. Bonne continuation et profitez bien de cette expérience exceptionnelle. Cordialement.